Forum de l'Économie et de la Finance Chinoises
  La Chine est debout
 

La Chine est debout
Pierre Beaudet, Sociologue et professeur à l'Université d'Ottawa

La spectaculaire (et coûteuse) inauguration des Jeux olympiques aura démontré -- encore une fois -- les prouesses techniques et esthétiques de la Chine d'aujourd'hui. Voilà un autre indicateur de cette montée en puissance d'un pays qui vient de surpasser le Japon en matière de puissance économique et qui ne cesse de fracasser les records à tous les niveaux. Les dernières prédictions des institutions financières internationales constatent que le taux de croissance de l'économie en 2008 sera «seulement» de 10 %. D'autre part, la Chine réussit à nourrir sa gigantesque population (1,3 milliard), soit 22 % de la population mondiale, alors qu'elle ne dispose que de 6 % des terres arables de la planète. La question est donc: qu'est-ce qui va empêcher la Chine de devenir la grande superpuissance d'ici 2025?

La Chine «éternelle»

Une explication courante est que la Chine, cet «empire du Milieu» historique, ne fait que «reprendre sa place» dans la hiérarchie des nations. En effet, l'État chinois centralisé existe depuis 2200 ans. Après tout, c'est de cette civilisation que sont parvenues vers le reste du monde des inventions fondamentales comme le papier, la poudre à canon, la boussole, la soie et tant d'autres choses. Certes, personne ne peut nier l'épaisseur historique de l'espace chinois. Par contre, une telle lecture peut devenir essentialiste, comme si la Chine avait le secret de sa force dans une sorte de code génétique. En fait, les historiens ont démontré que la Chine a connu des hauts et des bas, qu'à plusieurs reprises ce pays a été menacé de dislocation. Au début du vingtième siècle notamment, la dynastie impériale était à la merci des grandes puissances qui rêvaient de dépecer la Chine comme ils venaient de le faire en Afrique. Les pratiques féodales réduisaient les paysans, et encore plus les paysannes, au rang de «bêtes de somme». Entre-temps, le Japon pratiquait sur la Chine un colonialisme d'une barbarie inouïe qui horrifiait même ses alliés nazis, ce qui n'est pas peu dire. En 1948, sur 400 millions de Chinois, environ la moitié crevaient de faim.

La bifurcation

Comme on le sait, en 1949, après une guerre civile épique de près de trente ans, la Chine a bifurqué. Une révolution «nationale et démocratique» victorieuse a sorti la société et l'État du chaos, d'abord en rétablissant l'autorité nationale sur l'ensemble du territoire (sauf Taïwan et les colonies britanniques et portugaises). C'est cette révolution qui a redistribué les terres aux paysans affamés. C'est également celle-ci qui a imposé l'abolition des structures féodales, la libération des femmes, l'industrialisation et la mise en place d'un vaste filet de sécurité sociale. En termes macroéconomiques (on oublie cela), les taux de croissance de cette Chine maoïste ont également atteint des niveaux très élevés tout au long des années 1950 et 1960. Certes, cette Chine moderne a connu plusieurs convulsions. Paysans, prolétaires, intellectuels, bureaucrates et nouveaux bourgeois se sont confrontés bien que l'État chinois ait réussi à négocier, le plus souvent, les grands compromis qui ont évité la dislocation de la société.

Modernisation et développement du capitalisme

En fin de compte, rétroactivement, la révolution chinoise a permis la relance du pays en créant un État et une structure sociale «modernes», axés sur le développement économique capitaliste. Tout cela aurait été impossible si la Chine était restée sous le joug des seigneurs de la guerre et des impérialistes. Sur le fond, et malgré la perception, cette révolution dont Mao avait précisé la nature nationale (et non socialiste) a permis l'érection d'une élite moderne, bourgeoise, «nationale», dans une large mesure appuyée sur l'État. Dans cette évolution s'est développée une sorte de keynésianisme à la chinoise, un «grand compromis» entre dominants et dominés, sous l'autorité de fer du Parti communiste, générant autoritarisme, répression et exclusion des dissidents et aussi de certaines minorités nationales comme les Tibétains et les Ouighours. La montée en puissance de la Chine s'explique sur la base de ce projet volontariste, hybridisant, si on peut dire, la révolte paysanne au nationalisme et à l'anti-impérialisme.

Superpuissance...

Quarante ans plus tard, la classe dominante a solidifié ses assises et se sent assez solide pour pratiquer, selon ses propres intérêts et termes, une ouverture au marché mondial. L'objectif est de renforcer une Chine à la fois tirée par ses exportations et par l'élargissement du marché interne dans un compromis constamment renégocié entre les diverses fractions des dominants et des dominés. Certes, il y a un consensus pour refuser de jouer un rôle de subordination dans ce «marché mondial». L'équilibre rêvé par Pékin est celui d'une ouverture sur le monde grâce aux investissements et aux exportations, tout en protégeant la capacité de l'État de réguler les flux et de contrôler les outils stratégiques de l'accumulation. Ce modèle, avec d'importantes variantes, a été suivi par le Japon dans sa grande marche vers la modernité. Mais pour la Chine, les enjeux sont plus compliqués.

... ou atelier du monde

En effet, le système mondial actuel est dominé par une triade (États-Unis, Union européenne, Japon) qui voudrait bien d'une Chine croissante et développante, mais agissant comme un vaste «atelier du monde» qui permet de relancer l'accumulation, en abaissant les coûts salariaux et donc en diminuant les prix d'une gamme impressionnante de produits de consommation. Mais la Chine, comme d'autres pays «émergents», ne veut pas nécessairement être confinée à ces niches, d'où les convulsions de l'OMC. À une autre échelle, les dirigeants chinois s'inquiètent de la pénétration militaire des États-Unis en Asie. Ils comprennent que les menaces contre l'Iran et la guerre en Afghanistan et en Irak font partie d'une «guerre sans fin» dont les ambitions de dominer le monde sont explicites. La création et le développement de l'Organisation de coopération de Shanghai, mise en place par la Chine et qui compte maintenant une dizaine d'États, dont la Russie, est un début de réponse à ces menaces.

L'élan de l'émancipation

Aujourd'hui, la Chine est debout, comme l'avait proclamé Mao en 1949 au moment de l'intronisation du nouveau pouvoir. Pour la population, les avancées ne sont pas négligeables. La Chine de l'esclavage a laissé place à une Chine capitaliste moderne, où une grande partie de la population (pas toute) voit ses conditions de vie s'améliorer, un peu comme les couches moyennes et populaires des pays occidentaux durant les trente glorieuses. Tout cela fait des gagnants, mais aussi beaucoup de perdants, dont ces immenses masses qui déferlent sur les zones côtières à la recherche d'emplois précaires, mal payés, dangereux, dans ces «ateliers de misère» liés aux réseaux les plus exploiteurs de la mondialisation néolibérale. De tout cela émergent de nouvelles luttes, de nouveaux affrontements, de nouveaux enjeux, qu'on voit parfois par la prolifération des grèves, des manifestations, des blocages de rue, des protestations diverses, d'un bout à l'autre du pays, et où se profile la résistance contre les «nouveaux bourgeois», contre la bureaucratie du Parti communiste, contre les excès d'un «développement» qui détruit les communautés et leur environnement. De ces gigantesques affrontements s'esquisse sous nos yeux la Chine d'aujourd'hui.

 
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